Il y a des
blogs dans lesquels on nage dans le bonheur. Le soleil brille et il est beau la
pluie qui mouille fait du bien, l’ami Ricoré passe tous les matins pour servir
la confiture de pétales de fleurs à une famille belle, qui s’aime et qui attend
avec impatience le premier juillet pour s’envoler loin de la ville et vivre un
mois pieds nus là où le soleil est encore plus beau. Je ne m’en plains pas,
j’en ai dans ma liste, et j’y vais souvent pour me dire que la vie ça peut être
ça. Bon je ne suis pas naïve, et je sais qu’on ne nous dit certainement pas
tout, et que tout le monde a ses merdes
et que tout le monde n’a pas envie d’en faire étalage. C’est du blog joli qui
positive, qui pète la forme et ça donne de le soutire.
Tout ça pour
dire qu’ici, ce n’est pas tout à fait ça.
Je suis venue le mois dernier pour mettre des mots sur ce cataclysme qui
a déboulé rue de la Belle Rose le 27 mai. Il me fallait écrire. Même si
personne ne lit, il me fallait exprimer ce tourment. J’avais écrit plus tôt ce
texte sur mon Facebook, pour n’avoir pas à répondre aux questions, aux appels
téléphoniques. Ecrire pour n ‘avoir pas à dire. Je préférais. J’ai reçu des
messages tellement touchants que j’en ai encore plus pleuré.
Un mois où
presque a passé. Lundi, Sam passera devant le juge d’application des peines,
maintenant je dis JAP.
Mère de
coupable c’est aussi ça, c’est coupable un peu.
C’est se
confronter d’abord au tribunal, aux lois, et au jugement officiel. Mais ensuite
c’est devoir faire face au tribunal populaire. Au jugement de son voisin, de
ses proches, du commerçant du coin ou d’inconnus.
C’est aussi
puisque la loi en a décidé ainsi, de trouver face à un jeune homme auquel on a
donné un an de prison ferme, mais auquel on n’a rien expliqué de plus que ce
qui a été dit au procés. Un jeune homme qui n’a même pas compris qu’un an ferme
sans mandat de dépôt c’était pas de prison. Un jeune homme qui sort du box des
accusés hébété après sa garde à vue, et qui croit qu’il va partir en prison. Condamné
mais libre. Puni mais libre. Juste un
petit papier lui signifiant la prison ferme et au dos les aménagements de
peine. Et un rendez-vous un mois plus tard.
Nous y serons
lundi.
Bracelet
électronique, prison le soir et le week-end, et six autres possibilités d’aménagement.
Finalement au
sortir du jugement, j’ai mis deux jours à pouvoir parler calmement à mon fils. Trop
de colère, trop de révoltes n’auraient servi à rien. Puis nous avons parlé. J’ai
réalisé que je serai la seule pendant un mois à devoir expliquer, faire prendre
conscience, et surtout la seule à devoir gérer un fils à la dérive. La seule à
pouvoir répondre à ses questions. La seule qui pendant ce mois-là devrais
éviter tout risque dérapage.
Expliquer « tu
es libre, personne ne peut t’empêcher de sortir après le boulot, mais si tu le
fais sache que rien aucune entorse ne sera pardonnée. Rien. La prison est au
bout de la moindre erreur. »
Je ne suis pas
du genre à anticiper sur le malheur. Nous
saurons lundi quelle est la peine. Nous n’aurons pas le choix. Il faudra faire
avec. Il sera bien temps de comprendre et de nous adapter à ce qu’elle
impliquera.
Le destin s’acharne,
le destin nous aime ou pas. Je ne sais pas.
Le 9 juin, était
un dimanche un peu trop chaud. La lutine voulait se baigner. Je l’ai amenée
chez sa Juliette copine. Il faisait 40 ° dans la voiture. Quand je suis rentrée
rue de la Belle Rose, je rêvais d’un thé glacé. J’allais en préparer pour les
deux jours caniculaires qui s’annonçaient. J’avais acheté un mélange chez Kusmi
Tea que je n’avais pas encore eu le temps de me poser pour déguster. Là c’était
le moment où jamais.
J’ai rempli ma
bouilloire à deux litres. J’ai lavé le seul pichet qui puisse contenir les deux
litres de thé. Un beau pichet en verre offert pour mon mariage il y a trente
ans. Un rescapé. Du beau gros verre solide qui avait accueilli des cafés
frappés, des punchs, et d’autres thés glacés déjà. Il était posé sur le bloc
central de la cuisine et moi face à lui, je regardais les volutes du thé qui se
diffusaient. Un petit spectacle comme je les aime dans le calme de cette fin de
dimanche. Ca a fait bang ou bing je sais plus. En tout cas ça a fait beaucoup
de bruit quand le pichet de verre a explosé. Et ça a fait mal. Très mal. Sur
moi. Le pied, la jambe la main mais surtout le ventre. Je ne savais plus
comment garder les yeux ouverts, ne pas hurler, ne pas m’évanouir, mais surtout
comment enlever cette douleur. J’ai enlevé tous mes vêtements aussitôt. Et dans
me soucier du verre partout j’ai couru dans la salle de bains. Sous la douche
froide en entier. Pour ne pas crier. Seule chez moi. Avec cette folle douleur.
Qui ne passait pas. Je me disais que ça allait passer, que même si je devais
attendre une heure ça allait passer.
Le ventre et la
cuisse étaient les plus atteints, très rouges avec même de petites cloques
par-ci par-là. J’ai laissé couler l’eau trois heures. Dès que je sortais de l’eau,
la douleur était insupportable. J’ai dormi tout de même. Je ne sais pas
comment. SOS médecins est venu ? Brûlure au troisième degré sur le ventre
et la cuisse.
Depuis une
infirmière vient tous les jours me refaire mes pansements. Le ventre a tout a fait
cicatrisé. Aujourd’hui on n’a rien mis dessus.
La cuisse est
plus longue à guérir, il faudra peut-être une greffe. Tous les jours on enlève
un peu de tissu mort. Les douleurs des brûlures ce n’est pas de la gnognotte.
Il faudra encore de longues semaines pour commencer la cicatrisation de zone la
plus atteinte.
On appelle
peut-être ça un acte manqué. Je voulais pouvoir surveiller mon fils. Je m’y
suis forcée. Le destin m’y a contrainte.
Un psy ferait
une belle analyse de toute cette histoire.
Le temps est
parfois long depuis mon canapé jaune.
Je bois du thé
glacé que je fais rafraichir dans un pichet en inox.
Je colorie, je
lis, je regarde des films idiots, je joue à candy crush…
…. et je lis
des blogs heureux.