J’avais
3 ans, 7 ans, 10 ans et tous les jours nous faisions en famille la même chose.
Un rituel. Dans certaines familles on prie, on va la messe du plus petit au
plus âgé. C’est un oxygène, une ligne de conduite. Enfant on suit le mouvement
parfois sans plaisir, parfois sous la contrainte.
Pour
nous, enfants d’un mécréant et d’une fervente catholique, il y avait donc deux
moments incontournables chaque jour.
Chaque
soir après le repas, la même phrase prononcée par Mamamia à ses quatre
enfants. « Pipi, la prière et au lit ». Je ne sais comment tout cela
se passait dans la tête de mes frères et sœurs, mais je me souviens bien de ce
qui se passait dans la mienne. Je me revois, en chemise de nuit, à genoux
devant mon lit, les mains jointes, recuiellie dans une série de prières. Frérot
et moi dormions dans la même chambre jusqu’à mes 17 ans. Lui était plus rebelle
que moi et c’est assez tôt qu’il a commencé à bouffer du curé en écrivant des
horreurs dans les missels qu’il piquait à l’église le dimanche. Il était enfant
de chœur alors c’était facile. Je ne sais plus à quel âge nous avons eu le
droit de ne plus nous agenouiller devant notre lit et de prier dans notre tête,
et sous la couette. Je ne sais pas pour frérot, mais moi , j’ai continué malgré
tout à égrainer mes prières avec toujours autant de ferveur et de conviction. Un
je vous salue Marie, puis un notre père, puis un je confesse, puis un acte de
contrition, et après une série de petites demandes personnelles allant de
protèger ma famille, ceux que j’aime et aussi au fils des ans donnez moi un 20
en maths, et aussi faites que je sorte avec Bertrand et que je l’aime et qu’il
m’aime pour toujours…. Ca n’a pas marché tout à fait comme je le demandais. Mes
notes n’étaient pas toujours les meilleures, je n’avais jamais d’amoureux que
j’aime et qui m’aime, c’était toujours que j’aime et qui s’en tape totalement
et ne me calcule même pas. Et puis surtout, en dehors de ma famille, je voyais
tant de drames et d’injustices… Alors un jour j’ai cessé de prier. Fin de la
vie de Sainte de Va pieds nus la méli-mélo.
L’autre
rituel était celui voulu par Pierrot de la lune soutenu par Mamamia. Quotidien
et obligatoire. Par tous les temps, et
toutes saisons avec quelques variantes pendant la période estivale. Il était entre 17 et 18 heures quand chaque
jour la famille entière montait dans l’ami 6 break blanche. Quatre derrière,
enfournés comme une brochette, les deux aînés contre les portières pour
protéger les deux petits, puisqu’à cette époque il n’existait ni ceinture de sécurité,
ni sécurité enfant. Cinq kilomètres à
parcourir à la vitesse d’une limace au galop, Pierrot de la lune ayant pour
maie de décrire chaque moindre brin d’herbe qui poussait au bord de la route,
et Mamamia ayant une crise de palpitations quand le compteur marquait plus de
60. La première étape du périple était
un premier arrêt « Plage d’Hossegor ». D’ailleurs on ne dit pas plage
ni océan quand on a grandi là-bas mais mer. Donc, avant le « pipi, la
prière et au lit », l’autre phrase était « on va voir la mer… ».
Alors
on allait respirer l’odeur de l’iode, du sable écouter le bruit des vagues,
regarder les chalutiers qui échaient en mer. Pierrot les reconnaissait de loin,
et les nommait tous, il connaissait aussi les propriétaires de bateaux de plaisance
avec lesquels il faisait parfois des sorties matinales. Nous écoutions
religieusement. Car je ne l’ai pas dit mais il était très rare que nous
puissions sortir de la voiture en dehors des mois de mai, juin et septembre.
Les autres mois il faisait trop froid, ou il y avait trop de monde sur la
plage. Mamamia ne supportait pas que nous nous éloignions d’elle au-delà de
trois mètres. Craignant dans le désordre, la noyade dans trois centimètres
d’eau, la mauvaise rencontre d’un inconnu qui passe sur la plage, la chute sur
le sable mouillé, la vague folle qui nous happe, elle nous permettait tout de
même d’ouvrir nos vitres de voiture, pour respirer l’iode, car ça fait du bien,
mais pas trop car l’air de la mer excite et nous n’aurions as réussi à nous
endormir !!!! Heureusement que
Pierrot de la lune avait toujours une histoire à raconter pour nous occuper.
Au
bout de dix minutes la pagaille commençant à s’installer entre nous quatre, il
fallait reprendre la route. Direction le port de Capbreton. Un canal qui
donnait sur la mer, une digue, une jetée que nous appelions l’estacade, et les
bateaux des amis de Pierrot de la lune. Là aussi, hors de question de poser un
pied en dehors de la voiture. On ne pouvait se garer qu’au bord du canal, et il
n’y avait aucune rambarde entre l’eau et le promeneur. Danger Maximal !
Alerte cramoisie ! On n’ouvre même pas les vitres ! En effet, les
vagues viennent directement de la mer, sont encore vigoureuses et elles
viennent lécher le bord de la digue, et parfois éclabousser les abords. Reste
le plaisir des les voir déborder et gerbes et venir s’écraser sur le pare brise
de la voiture. Pierrot lui avait le droit de descendre. Il ne s’en privait pas.
Un genre de fuite de l’habitacle familial ou rapidement la pagaille revenait. Quand
il revenait les nerfs de Mamamia étaient à fleur de peau. Il est arrivés une petite dizaine de fois,
par beau temps, par mer calme, que Pierrot de la lune soit autorisé à emmener
l’un de nous quatre avec lui. Permission de sortie, la main fermement arrimée à
celle de notre père, l’œil de Mamamia cloué à notre dos. Heureusement, Pierrot
ayant deux mains, nous pouvions sortir à deux. Jamais lâchés d’une main ou d’un
œil, nous écoutions les conversations des pêcheurs rentrés au port, toujours
ennuyeuses à mourir, et nous finissions par envier les deux autres restés avec
Mamamia et les jouets dans la voiture.
En
ce qui me concerne, étant l’aînée, j’ai bénéficié de ce rituel, jusque très
tard, et j’étais autorisée à emmener mes cahiers ou mes livres de cours. Je ne
regardais plus ni la mer, ni le canal, ni les bateaux et me recroquevillais sur
mes leçons, trop honteuse à l’idée que des camarades de classe aient pu
m’apercevoir avec toute la smala.
Aujourd’hui,
je ne prie plus depuis très longtemps, mais j’aime aller dans les églises et
penser dans le silence et le recueillement. Je ne crois, mais je peux faire la
paix avec moi-même pendant des heures sur un banc en regardant les vitraux, les
saints, les Marie, les christs… Quelles que soit la ville dans laquelle je
passe, je cherche l’église et m’y pose un moment. L’autre endroit dans lequel
je retrouve cette paix, c’est quand je pose ma voiture au bord d’un lac, d’un
fleuve, ou de la mer. Si les prières ne me manquent pas, le rituel de la mer
lui me manque plus que tout. Il semble que ce soit ce qui me rend la force, me
redonne de l’énergie, et m’apaise en même temps.
C’est
l’image positive que je visionne automatiquement quand j’ai besoin de retrouver
mes esprits.
Parfois
je m’imagine, vieille dame solitaire, installée tout au bord des vagues, me
réveillant, écrivant, pensant, dormant tout près d’elle. Un mer nourricière,
protectrice, et aimée.
Ton récit trouve écho en moi.....prières, église, mer sans la voiture .
RépondreSupprimerhttp://www.penseelibre.fr/11-questions-pour-une-chaine-blogueuse-de-gauche-si-possible à toi le tour
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerTrès très joli récit comme toujours. Je passe ici de temps en temps sans laisser de "traces". Je sais, ce n'est pas bien mais malheureusement pour moi, je n'ai pas une aussi belle plume et on peut même dire que je n'en ai pas du tout alors ceci explique cela... Toujours est-il que j'ai beaucoup de plaisir. Merci. Valé
Très beau billet.
RépondreSupprimerJ'aime raconter ce genre d'anecdote, une sorte de thérapie qui me fait comprendre ce qui m'a construite!
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