dimanche 10 mars 2013

Une prière, une mer


J’avais 3 ans, 7 ans, 10 ans et tous les jours nous faisions en famille la même chose. Un rituel. Dans certaines familles on prie, on va la messe du plus petit au plus âgé. C’est un oxygène, une ligne de conduite. Enfant on suit le mouvement parfois sans plaisir, parfois sous la contrainte.
Pour nous, enfants d’un mécréant et d’une fervente catholique, il y avait donc deux moments incontournables chaque jour.
Chaque soir après le repas, la même phrase prononcée par Mamamia à ses quatre enfants. « Pipi, la prière et au lit ». Je ne sais comment tout cela se passait dans la tête de mes frères et sœurs, mais je me souviens bien de ce qui se passait dans la mienne. Je me revois, en chemise de nuit, à genoux devant mon lit, les mains jointes, recuiellie dans une série de prières. Frérot et moi dormions dans la même chambre jusqu’à mes 17 ans. Lui était plus rebelle que moi et c’est assez tôt qu’il a commencé à bouffer du curé en écrivant des horreurs dans les missels qu’il piquait à l’église le dimanche. Il était enfant de chœur alors c’était facile. Je ne sais plus à quel âge nous avons eu le droit de ne plus nous agenouiller devant notre lit et de prier dans notre tête, et sous la couette. Je ne sais pas pour frérot, mais moi , j’ai continué malgré tout à égrainer mes prières avec toujours autant de ferveur et de conviction. Un je vous salue Marie, puis un notre père, puis un je confesse, puis un acte de contrition, et après une série de petites demandes personnelles allant de protèger ma famille, ceux que j’aime et aussi au fils des ans donnez moi un 20 en maths, et aussi faites que je sorte avec Bertrand et que je l’aime et qu’il m’aime pour toujours…. Ca n’a pas marché tout à fait comme je le demandais. Mes notes n’étaient pas toujours les meilleures, je n’avais jamais d’amoureux que j’aime et qui m’aime, c’était toujours que j’aime et qui s’en tape totalement et ne me calcule même pas. Et puis surtout, en dehors de ma famille, je voyais tant de drames et d’injustices… Alors un jour j’ai cessé de prier. Fin de la vie de Sainte de Va pieds nus la méli-mélo.
L’autre rituel était celui voulu par Pierrot de la lune soutenu par Mamamia. Quotidien et obligatoire.  Par tous les temps, et toutes saisons avec quelques variantes pendant la période estivale.  Il était entre 17 et 18 heures quand chaque jour la famille entière montait dans l’ami 6 break blanche. Quatre derrière, enfournés comme une brochette, les deux aînés contre les portières pour protéger les deux petits, puisqu’à cette époque il n’existait ni ceinture de sécurité, ni sécurité enfant.  Cinq kilomètres à parcourir à la vitesse d’une limace au galop, Pierrot de la lune ayant pour maie de décrire chaque moindre brin d’herbe qui poussait au bord de la route, et Mamamia ayant une crise de palpitations quand le compteur marquait plus de 60.  La première étape du périple était un premier arrêt « Plage d’Hossegor ». D’ailleurs on ne dit pas plage ni océan quand on a grandi là-bas mais mer. Donc, avant le « pipi, la prière et au lit », l’autre phrase était « on va voir la mer… ».
Alors on allait respirer l’odeur de l’iode, du sable écouter le bruit des vagues, regarder les chalutiers qui échaient en mer. Pierrot les reconnaissait de loin, et les nommait tous, il connaissait aussi les propriétaires de bateaux de plaisance avec lesquels il faisait parfois des sorties matinales. Nous écoutions religieusement. Car je ne l’ai pas dit mais il était très rare que nous puissions sortir de la voiture en dehors des mois de mai, juin et septembre. Les autres mois il faisait trop froid, ou il y avait trop de monde sur la plage. Mamamia ne supportait pas que nous nous éloignions d’elle au-delà de trois mètres. Craignant dans le désordre, la noyade dans trois centimètres d’eau, la mauvaise rencontre d’un inconnu qui passe sur la plage, la chute sur le sable mouillé, la vague folle qui nous happe, elle nous permettait tout de même d’ouvrir nos vitres de voiture, pour respirer l’iode, car ça fait du bien, mais pas trop car l’air de la mer excite et nous n’aurions as réussi à nous endormir !!!!  Heureusement que Pierrot de la lune avait toujours une histoire à raconter pour nous occuper.
Au bout de dix minutes la pagaille commençant à s’installer entre nous quatre, il fallait reprendre la route. Direction le port de Capbreton. Un canal qui donnait sur la mer, une digue, une jetée que nous appelions l’estacade, et les bateaux des amis de Pierrot de la lune. Là aussi, hors de question de poser un pied en dehors de la voiture. On ne pouvait se garer qu’au bord du canal, et il n’y avait aucune rambarde entre l’eau et le promeneur. Danger Maximal ! Alerte cramoisie ! On n’ouvre même pas les vitres ! En effet, les vagues viennent directement de la mer, sont encore vigoureuses et elles viennent lécher le bord de la digue, et parfois éclabousser les abords. Reste le plaisir des les voir déborder et gerbes et venir s’écraser sur le pare brise de la voiture. Pierrot lui avait le droit de descendre. Il ne s’en privait pas. Un genre de fuite de l’habitacle familial ou rapidement la pagaille revenait. Quand il revenait les nerfs de Mamamia étaient à fleur de peau.  Il est arrivés une petite dizaine de fois, par beau temps, par mer calme, que Pierrot de la lune soit autorisé à emmener l’un de nous quatre avec lui. Permission de sortie, la main fermement arrimée à celle de notre père, l’œil de Mamamia cloué à notre dos. Heureusement, Pierrot ayant deux mains, nous pouvions sortir à deux. Jamais lâchés d’une main ou d’un œil, nous écoutions les conversations des pêcheurs rentrés au port, toujours ennuyeuses à mourir, et nous finissions par envier les deux autres restés avec Mamamia et les jouets dans la voiture.
En ce qui me concerne, étant l’aînée, j’ai bénéficié de ce rituel, jusque très tard, et j’étais autorisée à emmener mes cahiers ou mes livres de cours. Je ne regardais plus ni la mer, ni le canal, ni les bateaux et me recroquevillais sur mes leçons, trop honteuse à l’idée que des camarades de classe aient pu m’apercevoir avec toute la smala.
Aujourd’hui, je ne prie plus depuis très longtemps, mais j’aime aller dans les églises et penser dans le silence et le recueillement. Je ne crois, mais je peux faire la paix avec moi-même pendant des heures sur un banc en regardant les vitraux, les saints, les Marie, les christs… Quelles que soit la ville dans laquelle je passe, je cherche l’église et m’y pose un moment. L’autre endroit dans lequel je retrouve cette paix, c’est quand je pose ma voiture au bord d’un lac, d’un fleuve, ou de la mer. Si les prières ne me manquent pas, le rituel de la mer lui me manque plus que tout. Il semble que ce soit ce qui me rend la force, me redonne de l’énergie, et m’apaise en même temps.
C’est l’image positive que je visionne automatiquement quand j’ai besoin de retrouver mes esprits.
Parfois je m’imagine, vieille dame solitaire, installée tout au bord des vagues, me réveillant, écrivant, pensant, dormant tout près d’elle. Un mer nourricière, protectrice, et aimée.

5 commentaires:

  1. Ton récit trouve écho en moi.....prières, église, mer sans la voiture .

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  2. http://www.penseelibre.fr/11-questions-pour-une-chaine-blogueuse-de-gauche-si-possible à toi le tour

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  3. Bonjour,
    Très très joli récit comme toujours. Je passe ici de temps en temps sans laisser de "traces". Je sais, ce n'est pas bien mais malheureusement pour moi, je n'ai pas une aussi belle plume et on peut même dire que je n'en ai pas du tout alors ceci explique cela... Toujours est-il que j'ai beaucoup de plaisir. Merci. Valé

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  4. J'aime raconter ce genre d'anecdote, une sorte de thérapie qui me fait comprendre ce qui m'a construite!

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