vendredi 8 février 2013

INVITATION


J’ai reçu une invitation.
Une invitation surprise. Une invitation qui remue tout dedans. Elle me ravit, m’attriste, m’effraie tout à la fois. Elle répond à une envie qui dort depuis longtemps au fond de moi. Je crois que je n’y répondrai pas.
Quand il y a deux, trois ans, nous avons eu, mes sœurs, mon frère et moi le bonheur de voir les textes de notre père édités, nous avons su que ce pour quoi il avait vécu, se réalisait. Quelque part, je ne sais où, son étoile s’illuminait un peu plus. Sa mémoire entrait dans une sorte d’éternité, puisque ses mots allaient traverser les générations futures. Un enfant, un petit enfant, entrerait un jour dans une bibliothèque, et ouvrirait un de ses livres. Et peut-être il serait touché, et peut-être il l’aimerait.
Quand il y a deux, trois ans, ce projet est né, l’initiateur demanda à quelques personnes de parler de Pierrot de la Lune comme ils l’avaient connu. J’ai proposé mes mots. Pour parler d’un père exceptionnel. A côté d’un maire, d’un député, d’un journaliste, j’avais envie d’être les yeux d’un enfant.  
Le livre est dans ma bibliothèque. Il est dans celle de mes sœurs, de mon frère et de quelques personnes qui ont aimé Pierrot de la lune. La lutine ne rate pas une occasion de le faire connaîte à ses professeurs et à ses amis. On l’offre aux jeunes mariés, aux nouveaux arrivants de notre petit coin de Landes. Je ne sais si on le lit. C’est le sort de la confidentialité de la littérature régionale. Mais le seul but de l’écriture est de faire plaisir à celui à qui on l’offre.
Cette semaine, l’artisan du projet m’a appelé pour me parler de ce qu’il fait maintenant. Il n’oublie pas Pierrot dans sa lune. Ila  envie de parler de lui encore. De le faire parler. Alors il sera présent dans sa prochaine publication.
Mais ce qu’il me propose c’est de m’y associer en ajoutant le petit texte que j’avais offert pour Pierrot de la Lune.  Ca me plait bien d’être là tout à côté de mon père. Encore une fois. Ca me fait du bien. L’éditeur me propose de m’envoyer son projet, tout du moins les quelques pages qui concernent Pierrot. Le mail arrive. Je suis au bureau. Un texte de Pierrot, mon texte, et aussi un petit mot de l’éditeur.
PIERROT DE LA LUNE
 Enseigner et parler. Ecrire et lire. Partager et donner. Rire et pleurer. Regarder et écouter.
Pierre. Pierrot. Mon père. Papa. Mon pierrot de la lune envolé à jamais dans les brumes matinales
du marais….
Etre l’enfant de l’instit, du poète, du journaliste, du militant de l’homme multiple. Du père
unique. Enfant je n’aimais pas ça. Je ne savais pas que c’était un cadeau. Précieux. Je trouvais
la charge difficile à porter. Enfant on ne sait pas. On grandit à l’ombre d’un homme sans
savoir qu’il nous construit. Instruire c’est construire… Un jour, on a envie de dire merci de
m’avoir faite ce que je suis. Donné tout ce que tu étais. Fragile mais si forte. Passionnée mais
si douloureuse. Différente mais si fière.
Je te revois petit homme mal fagoté….
Je sens l’odeur de la craie écrasée dans tes poches, je sens le stencil de ta machine sur le
bout de tes doigts, je sens le papier et dans la maison, les livres étalés partout dans ton
bureau, des aiguilles de pin brûlantes l’été sur lesquelles tu nous faisais marcher pour aller à la
pointe et ne pas pouvoir se baigner, je t’entends me dire : « Tu comprends Sylvie ? », en levant
l’index devant tes yeux bleus délavés.
Voir, sentir, entendre. Et comprendre… « Tu comprends », c’était Sa phrase. C’était ce qu’il
voulait, faire « comprendre ». C’était tout ce que ses mots, ses textes, nous suggéraient : « Tu
comprends, ma dune, ma douleur, mon enfance, mes leçons ?
Tu comprends, il était l’instit et le pédagogue, le conteur et le raconteur. Pierre, Pierrot, mon
père, Papa, Mon pierrot de la lune nous t’avons lu et nous te comprenons.
S.G.

Quel bonheur ! Avoir ce talent pour écrire 15 lignes d’une telle intensité sur son père. Page 160
du livre “Histoires de l’ami Pierrot”, Sylvie a emprunté la plume de Pierrot, son père et jeté ces
mots bout à bout... Tu comprends ? Pourquoi Sylvie, du vivant de ton père, ne lui as-tu pas
offert ce papier ? Pas le temps, le moment, le recul ? Porté sur son coeur, il l’aurait montré à
certains. Fier. “Regarde, c’est ma fille, Sylvie”. Et le concours de nouvelles du Salon du livre
d’Hossegor se serait glorifié de ce duo de Sylvie et Pierrot, de fille à père, de partages, de rires,
de pleurs, de mots, de poésie.
Sylvie reprend la plume, viens t’asseoir sur la dune, sur le tuc au marais, dans une barque du
lac d’Yrieu, Pierrot n’a pas tout dit.

Je n’ai pas compris tout de suite ce que disait le texte d’accompagnement. Les larmes ont coulé à cette question : « pourquoi ne lui as-tu pas offert ce papier de son vivant ? ». Mais on ne refait pas la vie. Des mots ierot et moi nous en avons tant échangé. Des lettres j’en ai écrit encore et encore pour lui dire l’amour, l’admiration, et essayer de le sauver de son mal.  Il les a lues. Toutes certainement. Mais elles n’ont servi à rien.
L’invitation, celle qui me demande de reprendre la plume de Pierrot est touchante. Mais, je ne suis pas lui. Je n’ai ni l’envie, ni le talent, ni le savoir pour prendre sa suite. Je n’ai pas non plus le droit de me faire le porte-parole des enfants de Pierrot. Je le trahirais je les trahirais. Je ne suis pas seule propriétaire de la mémoire de mon père. Je pourrais raconter des tas de choses sur ma vie, mon enfance avec lui, mais ce serait moi et pas lui. Et crois que ce n’est pas ce que l’on me demande.
J’ai longtemps cherché aux côtés de Pierrot une sorte de « appréciation » de ce que j’écrivais. Il savait que j’écrivais. Mais il regardait mes écrits sous la torture de Mamamia qui lui disait regarde si c’est beau. Il lisait. Du bout des yeux. Je faisais celle qui n’attendait rien. Je restais loin. Puis il ne disait rien, ou un petit c’est bien. Comme l’instit qui met une appréciation dans la marge d’une rédaction. J’ai attendu longtemps, très longtemps, toujours, des mots qui ne vinrent jamais. Je voulais cette reconnaissance que je n’ai jamais eu et qui ne viendra jamais. De lui. Elle reste comme un point d’interrogation sur ce que je suis, ce que je vaux. Jamais je ne saurais.





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