Je fais parfois toute une histoire avec rien.
Et je le prouve.
Et là c’est vraiment avec rien. Je monte un
roman, un drame, en pas plus de trois minutes. Ca occupe mon esprit. Et je le
prouve.
Hier. Treize heures. Montparnasse. Rue du
départ. Arrivée la veille pour éviter de partir le matin à 5 heures. 3 heures
de réunion chez les narkeotrafiquants. Retour à 16 heures. J’ai 3 heures à tuer
avant le départ et mon sac à dos est trop lourd pour que je le traîne dans le
métro, pour aller voir une expo. Je décide d’aller me poser dans une brasserie,
de manger un petit truc chaud, et de bouquiner avant d’aller faire un petit
tour au Monop’. En plus, j’ai acheté un bouquin en partant de Bordeaux et j’ai
envie de m’y plonger.
C’est un plaisir que je ne me refuse jamais.
Passer un moment seule dans un café ou un restau, manger, en regardant autour
de moi et en bouquinant. Et surtout regarder, mater, observer, écouter.
Hier. Treize heures. Montparnasse. Rue du
départ. Tous les éléments sont en place pour moi. J’ai commandé mon croque
salade avec une eau pétillante. J’ai pris la table contre la vitrine, à côté du
radiateur, dans un coin. Je mange calmement au milieu du brouhaha. Les tables sont toutes occupées ou pour la
plupart par des gens qui bossent à la Tour Montparnasse. Je le
comprends aux conversations. Typiques des conversations entre collègues de
bureau. Ca parle chef, note de service, on cite Leduc, qui fait chier tout le
monde. On cite Sarouin qui n’est plus au service territorial, et celle qui a
pris un chocolat chaud n’était même pas au courant… Et aussi, Germignon qui a
mauvaise tête, parce qu’il bosse trop même les week-ends et qu’il ne va pas
tenir. Ca sent la bonne ambiance des collègues qui se bouffent la gueule….
Mon œil va voir plus loin, dehors, les
passants, il fait froid tout le monde
marche vite.
Rue du départ. Juste à l’angle. Un homme seul.
Un petit homme appuyé sur deux cannes. Son dos calé contre une armoire de
transformateur. Mon regard s’arrête. Mon cerveau s’emballe. La machine à
raconter des histoire démarre. En fait, il m’inquiète un peu. Il est immobile.
Son teint est blême. Un homme seul, à un coin de rue, immobile, debout. On
pense à un SDF. Mais il n’a rien d’un mendiant. Il est propre, ses vêtements
sont plutôt neufs. Il est bien rasé, cheveux courts. Ou alors il n’est pas à la
rue depuis longtemps. Les hypothèses commencent. Je rejette l’idée SDF. Alors
pourquoi reste-t il immobile ? Il pourrait être immobile parce qu’il a un
malaise. Il a peut-être mal au dos et ne peut plus bouger. Ou alors il a une
crise cardiaque. Il faut que je surveille au cas ou pour appeler les secours.
En tout cas personne ne semble s’inquiéter dans la rue. Je suis bien la seule à
surveiller la santé de cette homme. J’ai même envie d dire aux passant, mais putain
aidez-le !!! Une autre idée me vient. C’est un homme qui avec ses deux
cannes, peu à peine marcher. Il doit habiter dans le quartier. Juste l’immeuble
en face peut-être et comme il faut qu’il se force à bouger, il doit descendre
de chez lui tous les jours pour marcher un peu. Sauf que là il ne marche pas du
tout donc ça ne colle pas. Quoique, le temps que je pique ma fourchette dans
mon croque et que je boive une gorgée, il a démarré. Ca faisait bien un quart
d’heure qu’il ne bougeait pas. Le voila qui tout doucement s’en va vers le
carrefour. Mais au bout de 4, 5 pas il stoppe, fait demi-tour, et retourne vers
le transfo. Et reprend la position initiale. C’est peut-être un homme qui n’a
plus toute sa tête, ou qui a Alzheimer et est perdu. C’est vrai que son regard
est lointain, perdu, ne se fixe sur personne. Cinq minutes de pause, immobile.
Nouveau départ, même direction vers le carrefour, trois quatre pas de plus et
demi-tour et retour à la case départ. Je dégage l’idée du malaise. Ca ressemble
plus à un exercice de rééducation, à une promenade pour convalescent. Je suis
moins inquiète mais tout de même très intriguée. Quoique je n’ai pas écarté
l’Alzheimer. Et, là il faut que je surveille. D’autant plus que le manège
continue. Aller-retour, aller-retour… Il a, un instant trouvé refuge juste
contre la vitre du coin ou je mange. Puis il est reparti au point de départ.
Encore de nombreuses minutes. Il souffle beaucoup et il semble quand même avoir
mal. Je veille toujours en vue d’un éventuel malaise.
Dans mon esprit le vent de la révolte gronde. Je
pars dans mes réflexions sur l’indifférence, sur l’anonymat et le chacun pour
soi. Je me dis que je suis seule à m’inquiéter pour cet homme, que s’il tombe
personne n’aura remarqué ce qui s’est passé avant. Mais moi j’aurai tout vu et
je pourrai raconter !!!
C’est alors que l’homme quitte son transfo
doucement en grimaçant. Et à ma grande surprise, moi qui dans mes divagations
avais pensé qu’il restait dehors peut-être parce qu’il ne pouvait pas se payer
un café, je le vois entrer dans le café. La supposition du pauvre type sans le
sous, disparaît elle aussi. Tant mieux. Il s’assied, et passe une commande. Un
expresso. Bon, ça va, il peut parler clairement. Et le voilà qui sort un téléphone
portable et appelle quelqu’un en souriant. Finalement c’était juste un homme
qui était dehors et a mis longtemps à entrer boire un café. Un homme normal
mais un peu lent, un peu handicapé. Et tout à coup tout redevient normal pour
cet inconnu.
Une femme, jolie, jeune, grande et mince, jupe
en jean courte et collants en laine, entre dans le café. Il sourit. Elle l’embrasse.
Il s’appelle Michel. Il finit son café et ils y vont juste après, dit-il. Je ne
sais pas où… Lui ce soir il ira rejoindre Patrick et Catherine à dans les
locaux de Levallois-Perret.
Il paie. Ils se lèvent. Ils partent. Très
lentement. Je les regarde s’éloigner.
Voilà. Un homme attendait debout dehors. Il a
attendu longtemps. Simplement. Il ne sait pas que pendant une heure il a été le
héros d’un roman dramatique, un homme perdu ou en danger de mort.
Génial. J'ai dévoré ce billet.
RépondreSupprimerN'empêche, ça reste mystérieux ces aller-retour de quelques pas…
Gourmande !!!! J'ai bien aimé faire ce billet, ça me change et me distrait de mes emmerdes.
RépondreSupprimerOn va dire qu'il faisait les cent pas en attendant...