samedi 2 juin 2012

Le marchand de glace pleure depuis trop longtemps...

Je me souviens d’un adolescent rieur.
Tout comme ses cheveux, son regard était brun sombre. De son grand frère, il avait appris l’esprit rieur et farceur, l’amour des potes, des sorties, de la fête et des troisième mi-temps… Mais un peu en retrait de lui.
Ils avaient juste deux ans ou trois de différence, et le petit regardait toujours le grand avec admiration. Angel dévorait la vie sans souci, traînait derrière lui des cohortes de filles même si son cœur était transi d’amour pour soeurette courage. Eric n’était pas Eric mais d’abord le frère d’Angel. Même pour ses parents, il était un peu l’ombre de son frère.
Pour moi c’était un gamin, j’avais 5 ans de plus que lui, et deux fois par semaine un certain printemps, dans la classe de Pierrot de la Lune, devant un tableau noir, je l’ai torturé avec les accords de compléments d’objets directs, les équations et le théorème de Pythagore… Et il l’a eu son BEPC.
La fin de son adolescence s’annonçait, toujours dans les traces de son frère : rugby, filles, plage, marchand de glaces l’été, lycéen le reste du temps. Toujours dans l’ombre de l’aîné… Qui n’était pas vraiment l’aîné d’ailleurs puisqu’une grande sœur avait existé juste quelques trois ou quatre années avant eux. Mais elle était morte. Ni Angel, ni Eric n’en parlaient jamais. Mais nous on le savait. Et puis une nuit terrible d’hiver, une nuit de nos 20 ans, dans un fracas de tôles, le grand frère est parti. Nos vies de grands ados connaissaient ce jour là leur premier drame.
Au petit matin nous allions dans la maison des deux frères avec nos parents. Une mère était déchirée et sans voix. Un père hurlait que son fils était mort. Nous étions là mais assommés. Et si tristes. Puis dans un coin près de la cheminée, prostré, sans larmes, sans regard, sans mots, comme une ombre qui a perdu ce qui le fait exister, il était isolé. Il écoutait ce père exprimer un chagrin qui ne guérirait jamais.
Je me souviens à quel point j’ai senti ce garçon seul et perdu. A quel point j’ai eu l’impression que plus personne ne le voyait. J’ai fait signe à Ken, et nous sommes allés un peu dans le coin près du fauteuil d’Eric. Ken lui a pris la main. Je le vois encore. Je trouvais tellement horrible cette solitude soudaine dans la vie de cet adolescent et je sentais qu’elle n’était pas que passagère…. Comme si ce chagrin, cette solitude, trop lourds à porter pour un jeune homme de dix-sept ans avaient pesé sur son corps autant que sur son cœur, en quelques semaines, les épaules, le cou, le dos d’Eric, se sont courbés, recroquevillés, jusqu’à le paralyser… Il était déjà vieux. Le grand était mort, le petit ne se donnait plus le droit de vivre…. Malgrè tout le chagrin, toutes les douleurs, la vie a donné des bonheurs à Eric. Une jeune femme. Je n’en parlerai pas car elle ne lui pas vraiment ensoleillé la vie. Et deux enfants. Mais les miracles n’existent pas. L’adolescent brisé est devenu un homme brisé et malade. Il ne s’accrochait que pour ces deux petits.
Depuis cet après-midi, ils ont orphelins. 4 ans, 6 ans, et plus de papa si tendre. 4 ans, 6 ans et une vie à faire dans tout ce malheur. Ce papa ne pouvait plus se battre, son corps avait assez lutté. La vie ne lui a fait aucun cadeau. Aucun. Ca me met en colère que certaines personnes n’aient droit à ce point qu’au malheur. Que ces parents qui sont maintenant si âgés aient vu partir leurs trois enfants. Le papa ne s’en rendra pas compte, ca depuis de longues années il a emmené son cerveau ailleurs, dans un autre monde, la maman mourra sûrement de douleur, « encore une fois ». Perdre ses trois enfants c’est mourir trois fois un peu plus.
Deux petits enfants, si jeunes, et déjà de tels drames qui planent autour d’eux. Et une histoire familiale si cruelle et injuste. J’espère que quelqu’un pourra leur raconter leur papa et leur oncle. Et aussi leurs grands-parents réfugiés espagnols, pleins de chaleur et de joie de vivre. Qui vendaient des glaces et des beignets en famille, l’été au bord de la plage d’Hossegor.

1 commentaire:

  1. Je ne connais pas de plus grand malheur que de perdre ses enfants...heure-bleue

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