dimanche 10 octobre 2010

Tendresse

Ce serait si triste d’être triste du départ de petit tonton.
Ce serait si triste de pleurer qu’il soit parti en quelques secondes juste parce que son cœur battait trop fort, trop vite, trop mal, alors que depuis des mois et des mois il s’enfonçait dans la chimio, que les métastases le bouffaient à petit feu, que cette pute de maladie voulait l’avoir, encore un encore un encore et encore, jamais assez, toujours plus, insatiable la salope.
Ce serait si triste de le pleurer sans penser qu’il souffrait trop, qu’il n’aimait pas voir ses cheveux tomber, sa peau s’abimer.
Cette nuit j’ai rêvé de lui, il passait dans mon rêve. Il passait juste. Au milieu du monde…. et je me disais « Tiens, qu’est-ce qu’il fait là ? »… C’était peut-être l’heure de sa mort, c’était peut-être son adieu. Il avait son visage de maintenant, celui que j’ai vu cet été, celui qu’il s’est excusé d’avoir, celui que j’espère ne pas retenir, car lui, il n’était pas cet homme là, même s’il tentait de garder le sourire.
Ce serait triste de pleurer en oubliant tout les moments de petits bonheurs avec lui.
Premier petit bonheur avec lui : je suis une petite fille dans la cuisine de ses grands parents. Il est un grand jeune homme, une sorte de Tanguy des années 60, il jongle pour moi avec des oranges, des verres, il noue une serviette de table, l’aplatit et la fait tenir debout sur le bout de son nez et se met à marcher. Je suis émerveillée par ce tonton magicien.
Deuxième petit bonheur avec lui : petit tonton prend son carnet de dessins et ses crayons, je demande un cheval au galop, je demande un poisson volant, je demande un château et en quelques traits ils son devant moi sur le papier, puis ultime récompense, il me fait m’installer dans un fauteuil du salon, me demande de ne plus bouger, et il me dessine, moi. En quelques secondes je suis parfaitement représentée, émerveillée que le magicien soit aussi un dessinateur de talent.
Troisième petit bonheur avec lui : il nous rejoint mamie et moi dans le petit salon de musique. J’ai le droit de choisir un 45 tours dans sa collection, pour faire un intermède parmi les Grieg, les Chopin, et les Tchaïkovski de mamie qui somnole. Les musiques de tous les films qu’il va voir à l’Atrium de Dax films, Françoise Hardy, son idéal féminin, les comédies musicales. Tant de ces airs que j’ai découverts avec lui. Magicien, dessinateur, mélomane et cinéphile.
Quatrième petit bonheur avec lui : j’ai trois ans sept ans dix ans et il me raconte ses acrobaties en avion il pilote petit tonton, il voltige dans les nuages et le ciel . Il nous raconte toujours à nous ses neveux et nièces qu’un jour il nous lancera un paquet de bonbons en passant au-dessus de notre maison. Alors on regarde souvent en l’air…. Magicien, dessinateur, mélomane, cinéphile et aviateur.

Cinquième petit bonheur avec lui : j’ai quinze et je suis en internat et je m’ennuie à mourir. Je n’aime pas la vie en communauté. Mais ce que j’aime par-dessus tout c’est le mercredi midi, quand ce beau jeune homme de trente ans, à la chevelure folle et aux Ray-Ban Aviator, m’attend devant le lycée dans son duffle-coat bleu marine et me fait monter dans sa mini Austin blanche. Magicien, dessinateur, mélomane, cinéphile, aviateur et éternel jeune homme.
Sixième petit bonheur : J’ai dix-huit ans, et lui a passé les quarante et joue toujours les Tanguy chez papi et mamie. Puis, il laisse traîner, l’air de rien la photo d’une jolie malgache sur la table de la cuisine. Il est amoureux. Il va dans les nuages avec sa belle Lucie. Petit tonton nous surprend à n’être plus tout seul, et en moins de temps qu’il nous faut pour le réaliser il nous offre une tante et une cousine, puis plus tard une autre encore.
J’ai trop de petits bonheurs avec mon petit tonton pour penser à lui sans sourire tendrement.
Je sais que lui je pleurerai de le voir enfermé dans son cercueil, parce qu’il était fait pour voler.

1 commentaire:

  1. Bon courage et gardez tous vos souvenirs! Ce sont eux qui nous aident à vivre avec tous ces êtres chers qui nous ont quittés trop tôt, trop vite!
    Marie

    RépondreSupprimer